Fascinant ! Dans Le Royaume, Emmanuel Carrère interroge son rapport (notre rapport) au christianisme et part sur la trace des premières communautés chrétiennes, de Saint Luc et Saint Paul. Foisonnant, érudit, ce n’est pas vraiment un roman, pas un livre d’Histoire non plus, mais le récit d’une aventure humaine un peu folle qui a commencé il y a près de 2000 ans et qui a transformé notre monde, pour le meilleur et pour le pire. Le Royaume est un livre qui passionne tellement, qu’on lui pardonne ses défauts : des longueurs, quelques répétitions, un égocentrisme débordant… qui ne gâchent en rien le plaisir de lecture, tant l’impression d’ensemble est éblouissante… Au final, Le Royaume est un livre qui marque et qui trouble le lecteur, qu’il soit ou non croyant.
Archives du blog
Le Bonheur national brut, de François Roux
Le bonheur national brut,
de François Roux
Albin Michel – 22,90€
L’itinéraire de quatre amis d’enfance, Paul, Rodolphe, Benoît et Tanguy, de mai 81 (ils passent leur bac) à mai 2012 (de l’eau a coulé sous les ponts). A travers leurs parcours personnels, intimes et politiques, François Roux trace le portrait d’une génération, des Grandes espérances aux Illusions perdues. Les personnages sont très attachants, le livre est bien écrit et nous happe très vite. Un excellent roman populaire, qui ravira les lecteurs les moins aguerris comme les plus exigeants.
Les autodafeurs T1 / mon frère est un gardien
de Marine Carteron
Éditions du Rouergue
14€
Un des meilleurs romans d’aventures lu depuis longtemps !
Auguste, 14 ans, et Césarine, 7 ans et atteinte du syndrome d’Asperger, apprennent la mort de leur père, et se retrouvent à déménager avec leur mère à la campagne. Habitué à Paris, ses musées et les bouquinistes des bords de la Seine, le choc est un peu rude pour Auguste, qui découvre son nouveau collège rural avec une certaine stupeur. Césarine, pragmatique à souhait, obnubilée par les maths et la logique, continue à utiliser des Monsieur-Madame pour apprendre à comprendre les sentiments des gens sans être vraiment perturbée par le changement. Jusqu’au jour où les enfants comprennent que la mort de leur père n’était pas accidentelle, et qu’ils sont les descendants de la Confrérie, qui a pour mission de protéger les livres et le savoir…
Un suspense pas croyable, de l’humour, des personnages extrêmement attachants, une intrigue qui nous pousse à lire jusque tard le soir en cachette.
A partir de 12 ans.
Un long moment de silence
de Paul Colize
Folio Policier
8,40€
2012, Bruxelles. Depuis vingt ans, Stanislas Kervyn mène son enquête sur l’attentat qui a provoqué la mort de son père. Invité à une émission littéraire pour présenter le livre qu’il a écrit sur ce sujet, il reçoit par la suite un coup de téléphone qui va orienter ses recherches vers une direction totalement inattendue et l’amener à se replonger dans le passé de sa famille.
1948, New York. Nathan Katz, jeune juif rescapé des camps, est recruté par « Le Chat », une organisation clandestine chargée de traquer d’anciens nazis et de les exécuter.
Tous les ingrédients d’un bon polar sont là : personnages ambigus, contexte historique, écriture sèche et percutante … et construction haletante.
Car comme dans l’excellent Back up, son précédent roman qui nous plongeait dans le rock des 60’s, Paul Colize entremêle deux époques, deux destins qui se croisent et se répondent à chaque chapitre, maintenant la tension jusqu’aux dernières lignes qui achèvent définitivement les nerfs meurtris du lecteur.
Crime d’honneur
d’Elif Shafak
éditions 10/18
9,10€
Esma, jeune immigrée kurde qui vit à Londres, tente de comprendre pourquoi son frère Iskender a assassiné leur mère, Pembe, des années auparavant. A travers ses interrogations, l’histoire familiale se retrace, les différents membres de la famille s’esquissent, et tels les empiècements d’un puzzle contribuent petit à petit à former le lourd destin qui la lie à ses ancêtres des rives de l’Euphrate à l’Angleterre, où le poids des traditions va rattraper des femmes qui ont cru à la liberté et à l’amour.
Comme d’habitude, Elif Shafak nous livre une très belle histoire, qui ruisselle de féminité, cette féminité que les coutumes tentent toujours d’écraser, de brimer, de ternir, mais qui, toujours célébrée chez cette romancière engagée, transforme les femmes du quotidien en éternelles héroïnes.
Prix Relay des voyageurs 2013.
Molosses
de Craig Johnson,
aux éditions Gallmeister,
23,40€.
Alors que l’hiver s’installe dans le comté le moins peuplé de l’État le moins peuplé des États-Unis, Walt Longmire, son shérif, se voit confier une curieuse mission : celle de mettre la main sur le propriétaire d’un pouce abandonné à la décharge. L’enquête devient rapidement haute en couleur, car Walt se trouve face à deux molosses qui gardent le terrain, à son vieux propriétaire loufoque et à un promoteur immobilier multimillionnaire qui cherche à prendre possession des lieux pour étendre son vaste ensemble de ranchs luxueux. Sans parler d’un jeune couple fleurant bon la marijuana, de la vieille institutrice au charme incontesté, du perroquet dépressif et déplumé et de quelques cadavres qui bientôt viennent compliquer cette affaire. On retrouve dans Molosses le style enlevé de Craig Johnson et l’humour désopilant de son shérif au service d’un nouveau polar parfaitement abouti.
L’Ancêtre
de Juan José Saer, traduit par Laure Bataillon, couverture de Nicolás Arispe,
aux éditions du Tripode
17€
« De ces rivages vides il m’est surtout resté l’abondance de ciel. Plus d’une fois je me suis senti infime sous ce bleu dilaté : nous étions, sur la plage jaune, comme des fourmis au centre d’un désert. Et si, maintenant que je suis un vieil homme, je passe mes jours dans les villes, c’est que la vie y est horizontale, que les villes cachent le ciel.»
Un texte comme on n’en lit plus, comme on n’en écrit plus, un véritable trésor littéraire comme on en croise rarement dans une vie. Dès les premières lignes, et jusqu’à la dernière, on ne peut que s’éblouir de ce style insensé, de cette langue perdue, sacrée, empreinte de puissance et qui, abyssale, se constitue sésame pour le lecteur, et explore avec lui ses origines jusqu’aux tréfonds de son identité.
Inspiré d’un fait historique avéré, ce roman raconte le destin étonnant de ce petit mousse qui en 1515, prend la mer et quitte l’Espagne en direction du Rio de la Plata. A peine débarqué, l’équipage se fait massacrer par des Indiens. Unique survivant, le jeune espagnol va passer dix années au sein de cette tribu anthropophage, avant d’être rendu à son monde et tenter de le ré-apprendre, ou peut-être simplement d’apprendre à le comprendre.
Dans la lignée de cette tradition espagnole post-coloniale de l’exploration du mythe du « bon sauvage » et de « l’homme civilisé », partant d’une expédition réelle pour la transformer en fiction, Juan José Saer insiste sur ces échanges entre nature et culture, inné et acquis, sur l’apprentissage de la découverte de soi qui passe par la découverte de l’autre, de l’étranger, et notamment de son langage, toujours indicateur d’une certaine vision et perception du monde. Il s’agit de percer les apparences. Procédant d’une démarche quelque part très saussurienne, le lecteur est impliqué par l’auteur et par le narrateur, l’un par sa langue (on peut d’ailleurs saluer ici le travail inouï de la traductrice), et l’autre l’invitant à explorer le langage afin de remonter jusqu’à ses origines et comprendre sa condition d’être humain. La langue et le langage étant en perpétuelle mouvance, la réalité de chacun n’est donc jamais figée, on ne peut que percevoir des points de vue fugitifs qui impliquent une remise en question permanente de l’humanité et de la réalité.
Un livre magnifique, entre réalité fantasmée, fable et roman d’apprentissage, qui déploie une richesse littéraire, anthropologique et mythologique assez exceptionnelle.