Notre sélection en sciences humaines pour les fêtes :
D’images et d’Eau Fraîche, Mona Chollet
Éditions Flammarion
Jusqu’ici, j’ai toujours écrit pour tenter de débrouiller un ou plusieurs problèmes auxquels je me heurtais dans ma vie, en espérant que ce travail serve aussi à d’autres. Il est un peu déconcertant de le faire simplement, cette fois, pour partager l’un des stratagèmes par lesquels je maintiens allumée la flamme de ma vitalité – pour parler de plaisir.Parmi tous les ouvrages qui paraissent sur la culture numérique, je n’ai encore jamais rien lu au sujet de cette communauté éparse que j’ai moi-même rejointe il y a bientôt dix ans:celle des collectionneurs d’images en ligne, qui accumulent et partagent au fil des jours, sur Instagram, Tumblr, Flickr ou Pinterest, des photographies d’art, des tableaux, des dessins qu’ils aiment.Cette activité en apparence anodine représente mon équivalent de la liste des «Choses qui font battre le coeur» dressée par Sei Shônagon, dame de compagnie de l’impératrice consort du Japon, dans ses Notes de chevet, au XIe siècle. Dans un monde de plus en plus désespérant, j’ai envie de revendiquer ce rapport primaire et entêté à la beauté, cette confiance dans l’appui qu’elle offre, faisant de nous des perchistes arrachés momentanément à la gravité et catapultés dans les airs, libres et légers, avant de retomber… ailleurs.
On Arrête (Parfois) le Progrès ; Histoire et décroissance, François Jarrige
Éditions L’Échappée
Saviez-vous qu’au siècle de la machine à vapeur, on s’inquiétait déjà de la surconsommation d’énergie et des limites à la croissance?? Pensiez-vous que la «?fée électricité?» avait été rejetée par des réfractaires au confort moderne, soucieux de ne pas dépendre de grands systèmes techniques?? Imaginiez-vous que nos ancêtres fustigeaient les automobilistes «?écraseurs?» et s’en prenaient à l’accélération des transports?? Que des travailleurs s’opposaient au sacro-saint «?développement des forces productives?»?? Que des écologistes avant l’heure alertaient sur la destruction de la nature par la civilisation industrielle?? Contrairement au fameux adage selon lequel «?on n’arrête pas le progrès?», le recours à l’histoire démontre qu’il n’y a pas de fatalité technologique. L’humanité n’est pas vouée à s’adapter, résignée, à l’implacable règne des machines. La course à la puissance a toujours fait face à de profondes remises en cause. Les textes réunis ici s’appuient sur la mémoire de ces résistances pour nourrir la réflexion actuelle autour de la nécessaire décroissance. Alors que l’expansion indéfinie nous conduit à l’abîme et que l’artificialisation du monde s’intensifie, des bifurcations restent possibles. Et elles sont vitales.
Schizogrammes, Emmanuel Venet
Éditions La Fosse aux Ours
Schizogramme : n.m., de schizein, couper, et graphein, écrire. Néologisme créé en 2022 par l’auteur, désignant un écrit sur la schizophrénie. En l’occurrence, la vingtaine de schizogrammes composant ce recueil évoquent ici une tranche de vie, là un destin, ailleurs la folie douce de l’institution psychiatrique. Vingt occasions de s’émerveiller face aux trouvailles du délire, de s’émouvoir des détresses qu’organise la psychose, de pointer l’étonnante contagiosité de la folie.
Ces vignettes sont à lire comme des fictions vraies. Ces évocations d’hurluberlus sont aussi l’occasion de contrecarrer la peur du fou. A la construction médiatique du » schizophrène dangereux » s’opposent ici des figures de malades vulnérables, saugrenus, poétiques.
Terre et liberté : la quête d’autonomie contre le fantasme de délivrance, Aurélien Berlan
Éditions La Lenteur
Dans la plupart des civilisations ou des milieux sociaux, l’idée de la liberté qui prévaut est de pouvoir se décharger de la vie matérielle, des tâches de subsistance : sur les esclaves, sur les travailleurs manuels et les femmes, sur les machines… Dans cet essai philosophique remarquable, A. Berlan ravive une conception opposée, subalterne, de la liberté portée par des mouvements paysans d’hier et aujourd’hui (zapatisme) : la prise en charge collective et égalitaire des besoins de base, des besognes nécessaires à la vie sur terre.
Contre le rêve de délivrance, le projet d’autonomie ; contre le libéralisme, le marxisme et notre société de services néo-domestique, la réappropriation de la part matérielle de nos vies.
Le vide, mode d’emploi : Aphorismes de la vie dans les ruines, Anne Archet
Éditions LUX
«J’ai dit a` la mère de mon amoureux que j’étais aphoriste et elle m’a donné son appui dans ma lutte pour l’acceptation et la reconnaissance. Je l’ai remerciée avec émotion, même si j’ai vite compris qu’elle pensait que le mot «aphoriste» désignait une identité sexuelle ou de genre a` la mode. Pour une fois qu’on ne se moque pas de mes prétentions littéraires, je n’allais quand même pas gâcher mon plaisir.» «Je crois qu’il faut cesser de dire «environnement» et commencer a` dire «survie de l’espèce humaine». Ce serait rigolo d’entendre les politicien-ne-s dire «la survie de l’espèce humaine est importante, mais pas aux dépens de l’économie».»
L’Art de Résister au Malheur, John Cowper Powys
Éditions Baconnière
Ce court essai critique le radicalisme de la religion et de la science pour s’engager sur la voie instable du scepticisme. Le monde des forts et des puissants est celui de la vérité, de la certitude et d’une foi renouvelée. Le monde des faibles est celui du doute, de l’observation et de la joie profonde du lien à la nature. John Cowper Powys nous apprend dans cet essai à faire partie des « faibles ».
« Car le secret universel de la réussite consiste à présumer que tout ce qui est efficace, pratique et exploitable représente ce qu’il est convenu d’appeler la vérité. »
Ce Monde Connecté qu’on nous Impose, Nicolas Bérard
Éditions Le Passager Clandestin
221 fois. C’est la fréquence à laquelle nous consultons notre téléphone chaque jour. L’addiction est profonde et semble se généraliser.
Pourtant, au sein même de cette société sans contact, des hommes et des femmes consacrent de leur temps et de leur énergie à résister à la numérisation de nos vies. Partout en France, ils et elles s’opposent à la construction des antennes 5G de la future « smart city », alertent sur les dangers de la surexposition des enfants (mais pas que) aux écrans, dénoncent les ravages d’une agriculture 4.0, refusent la « dématérialisation » des services publics, ou troquent leurs smartphones contre de « bêtes » téléphones (eh oui, c’est possible?!).
Dans ce nouveau livre, Nicolas Bérard nous présente un état des lieux de la société hyperconnectée qu’on nous impose et nous emmène à la rencontre de ces citoyens et citoyennes technorésistant·es. Autant d’exemples et de pistes d’actions pour nourrir nos imaginaires, trouver des allié·es et entrer en action Nicolas Bérard est journaliste et enquête depuis plusieurs années sur les questions de l’énergie, des ondes et de la « smart city ». En 2017, il a publié Sexy, Linky qui dénonce les effets néfastes de ce compteur dit intelligent, et, en 2020, 5G mon amour, une enquête sur la face cachée des réseaux mobiles.