– Theodoros, Mircea Cartarescu, Noir sur Blanc, 27 €
Traduit du roumain par Laure Hinckel
Autour de la figure de Téwodros II, empereur d’Ethiopie au milieu du XIXe siècle, Cartarescu déploie un roman foisonnant, d’une ampleur sidérante, qui brouille les pistes de la vérité historique, mêle le picaresque, l’épique, le biblique, dans une écriture éblouissante.
Hugo
– Il neige sur le pianiste, Claudie Hunzinger, Grasset, 25€
La narratrice, double de l’auteur, et toujours perchée haut et loin au plus près du monde sauvage, accueille et veille cette fois un pianiste célèbre dans son refuge isolé et tente d’entretenir un contact épisodique avec un jeune renard. L’écriture est toujours aussi libre, vive et au service d’un récit qui laisse émerger les moindres tressaillements de l’existence ; une véritable ode à la musique, aux sens, à la langue, au corps, à la nature. Le tout d’une légèreté, d’un rythme qui rappellent la liberté des écrivains du XVIIIe siècle.
Bertrand
– Cabane, Abel Quentin, éd. L’observatoire, 22 €
Comment vivre dans un monde qui court à sa perte quand on a soi-même modélisé tous les facteurs et rédigé les projections scientifiques ? 50 ans après la publication du Rapport Meadows qui pointait les « Limites de la croissance dans un monde fini » et entrevoyait la crise climatique actuelle, Abel Quentin s’empare du sujet dans un grand roman jouissif et passionnant où il réinvente le destin des quatre rédacteurs dans les décennies qui ont suivi. Les trajectoires qu’il explore avec minutie nous emportent de l’université de Berkley dans les années 1970, où fût élaboré le rapport, à une cabane isolée en Norvège, en passant par les tours de la Défense dans les années 1980, une ferme d’élevage de porcs dans l’Utah… Dans un style rapide et efficace, il parvient à tisser une trame terriblement romanesque avec une multitude de références théoriques, donnant corps à diverses figures des mouvements techno-critiques (Ellul, Grothendieck, Arne Naess). À lire !
Aline
Nord sentinelle, Jérôme Ferrari, Actes sud
Quelle plume ! Le ton est mordant (voire misanthrope), la construction sophistiquée et tellement maîtrisée ! un rythme de phrases longues et chargées qu’on lit avec avidité tant il nous captive et nous fait rire. Jérôme Ferrari s’attaque aux Corses et aux non-Corses, aux petites dynasties de mafieux orgueilleux et aux touristes trop nombreux au goût de son personnage principal, professeur de philosophie (comme l’auteur) contraint de « revenir au bercail » après des années à l’étranger, anti-héros désabusé qui ne manque pas d’auto-dérision. Comme dans d’autres romans de Jérôme Ferrari, le texte prend une dimension particulière quand il fait des sauts dans le temps et l’espace pour nous envoyer en quelques lignes à la cour d’un roi éthiopien au XIXe siècle ou du côté des Djinns qui veillent aujourd’hui sur ses personnages. Et c’est là un paradoxe intéressant : Ferrari métisse ainsi son texte et le rend plus riche tandis que son récit est un enchaînement de confrontations entre différents systèmes. Nord sentinelle serait une trilogie consacrée à l’altérité et nous avons hâte de lire la suite, notamment pour entrevoir peut-être la possibilité de la rencontre ?
Aline
– Ilaria ou la conquête de la désobéissance, Gabriella Zalapi, éd. Zoé, 17 €
Une écriture ciselée, économe, d’une rare expressivité, pour un récit quasi initiatique : celui d’une enfant kidnappée par son père jouant surtout un rôle de contre-modèle, et qui apprend à se construire malgré tout.
Hugo
– Croire en quoi ?, Richard Krawiec, éd. Tusitala, 21 €
Coup de coeur d’Aline.
Richard Krawiec sera présent au salon du polar de Pau Un Aller-retour dans le noir les 5 et 6 octobre 2024.
Résumé par l’éditeur :
« Pittsburgh, fin des années 80. La fermeture de l’usine a poussé des centaines d’ouvriers au chômage, sans espoir de retrouver un travail dans une ville tournée vers un avenir dont ils ne font plus partie. Croire en quoi ? nous montre ici l’envers du décor de la gentrification : la vie de ceux qu’elle a laissés pour compte. Timmy lutte pour garder un semblant de dignité, trouver de quoi nourrir sa famille. Pat, sa femme, remue ciel et terre pour prodiguer des soins à leur fille aînée, Katie, handicapée depuis une commotion cérébrale.
Mais à quoi se raccrocher lorsque tout espoir semble perdu ? Lorsque la ville elle-même a abandonné ceux qui l’ont construite, qui ont forgé son identité ? Lorsqu’on n’a plus la sensation d’exister nulle part, ni parmi ses amis, ni au sein de sa propre famille ?
Richard Krawiec n’a pas son pareil pour réussir à raconter le délitement de notre monde en l’incarnant dans des personnages intenses, touchants et fragilisés. »
– Les sept maisons d’Anna Freud, Isabelle Pandazopoulos, Actes Sud, 22,50 €
Joliment conté, ce roman biographique nous fait découvrir le parcours tout en clairs-obscurs de la dernière fille de Sigmund Freud, depuis ses années mal assurées d’apprentissage jusqu’à son affirmation comme continuatrice des explorations de son père.
Hugo
– Le mal joli, Emma Becker, Albin Michel, 21,90 €
Un style allègre pour le récit impudique et passionné d’une relation adultère, qui est aussi une mise en scène de l’écriture elle-même, toujours en prise directe sur la vie du cœur et du corps.
Hugo
Rue Castellana Bandiera, Emma Dante, traduit par Eugenia Fano, éditions du Chemin de fer, 18,50€.
Dans une rue étroite de Palerme, deux voitures se font face. Il faudrait que l’une ou l’autre accepte de faire marche arrière pour qu’elles puissent se croiser, mais aucune des deux conductrices ne veut céder. D’un côté, Samira et sa famille, vieille Albanaise sans papiers dont la fille a épousé Saro, un patriarche dont le clan habite dans un immeuble de la rue. De l’autre, Rosa, Milanaise homosexuelle rejetée par sa famille, en voiture avec sa compagne Clara qui est sur le point de la quitter.
Cette situation absurde donne lieu à un huis-clos tragi-comique, peinture de la société patriarcale sicilienne confrontée aux enjeux contemporains : la migration, l’acceptation de soi et des autres, l’émancipation féminine.
Dans une langue explosive et un rythme accéléré, Emma Dante fait sauter tous les carcans et nous embarque dans des scènes de vie pleines de vacarme, parfois crues, parfois tendres, faisant entendre ces personnages en quête d’une place dans le tourbillon de la société. Il faut saluer le travail remarquable de la traductrice qui a pris le parti de faire entendre les écarts entre le sicilien et l’italien, un des enjeux dramatiques essentiels du roman, en faisant appel à l’occitan provençal. Et nous saluons aussi la belle fabrication du livre par Les éditions du Chemin de fer qui ont fait appel à Oana Lohan pour les illustrations qui accompagnent le roman. Bref, on aime beaucoup ce livre !
Aline